Forme de travail collaboratif née au tournant des années 2000 aux USA, le coworking a pris de l’ampleur notamment grâce au mouvement start-up et à l’essor du télétravail. Mis à mal durant la crise sanitaire avant de redémarrer de plus belle en 2022, il s’est réinventé pour proposer davantage que des m2 et des tables de bureaux.

Source : https://www.references.be/article/a-la-une/le-coworking-bien-plus-que-des-tables-et-des-chaises/622360

C’est dans les années 2000 que les premiers espaces de travail partagés font leur apparition sur le marché américain ouvrant la voie aux « new ways of working » ou NWOW, de nouvelles manières de collaborer et d’interagir dans l’entreprise. Edouard Cambier fait partie de ceux qui se sont intéressés au modèle de longue date. Il fonde la Seed Factory, le premier espace partagé dédié aux métiers de la communication, il y a 22 ans dans le quartier d’Arsenal à Etterbeek. « Le bureau n’est plus un lieu où on bosse de 9h à 17h au même endroit et sans bouger de sa chaise. On n’y vient pas pour la salle de réunion ou la qualité du mobilier, mais pour une énergie et des contacts », introduit celui qui est également vice-président de la Belgian Workspace Association qui regroupe les acteurs du secteur. « Quand je travaillais chez Roularta, dans les années 1990, j’ai vu des équipes de l’agence Ogily qui travaillaient en petits groupes par client et transportaient leurs gros ordinateurs câblés sur des tables à roulettes pour être plus mobiles. J’ai trouvé cela génial. Quand la mission était terminée, ils retournaient à leur place. C’était déjà une forme de flexibilité ».

Free-lances, start-up et PME

Quelques décennies plus tard, plusieurs générations de coworkers se sont depuis approprié le concept. « Dans les années 2000, le mouvement start-up/scale-up était bien en place, mais il n’y avait pas vraiment de lieu dédié à ces jeunes sociétés. Dans ce modèle de boîte, on peut croître ou disparaître très vite. C’est compliqué de s’engager sur une location de bureaux à long terme », cadre Axel Kuborn, cofondateur au côté d’Alexandre Ponchon du réseau Silversquare né il y a une quinzaine d’années et qui regroupe aujourd’hui 12 adresses. « On était tous les deux impliqués dans un projet de start-up et on n’avait pas d’autre choix que de travailler dans des lobbys d’hôtels ou chez nous. On s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire, sans pour autant se dire qu’on faisait du ‘coworking’ ». Le premier Silversquare s’installe en 2008 au numéro 475 de l’avenue Louise. « Nous avons choisi une belle adresse dans un bel immeuble. Le souci du design était déjà présent, même si nos espaces ont fort évolué ensuite ».

Silversquare Bailli
Silversquare

Des PME ont rejoint les entrepreneurs isolés et les start-up de la première heure. « Le coworker bobo d’il y a vingt ans a été dilué par des start-uppers, qui eux-mêmes ont laissé la place à des PME qui n’ont plus envie de gérer un bureau qui ne sert parfois plus que deux ou trois jours par semaine », poursuit Edouard Cambier, qui a accueilli 112 entreprises depuis le lancement de son espace. Depuis peu, je vois de plus en plus de départements de back-offices de grandes structures se tourner aussi vers le coworking. Ils emploient parfois une cinquantaine de personnes et fonctionnent alors comme une entreprise classique, mais dans des bureaux partagés ». Leur point commun : l’envie de travailler dans des endroits bien situés, avec des services partagés et un esprit de corps. « Aux États-Unis, on voit ce mouvement depuis longtemps, le rejoint Axel Kuborn. Salesforce, par exemple, travaille à 300 personnes dans un coworking. Même les grandes boîtes ont besoin de flexibilité ».

Travailler partout, tout le temps

Post-crise sanitaire, les habitudes ont changé et le besoin de souplesse c’est encore accru. Parmi les coworkers de différents types, secteurs et profils, certains aiment toujours s’asseoir au même endroit, au même étage, quand d’autres utilisent l’espace différemment selon le moment de la journée. « On peut chez nous aller travailler dans n’importe quel Siversquare si on veut. On assiste à une dé-spatialisation du travail depuis des années, constate Axel Kuborn. Depuis le Covid-19, la norme a changé. On fait désormais rarement toute sa journée au même endroit. Nos membres se déplacent beaucoup plus au sein des espaces et entre nos adresses, ce qui a parfois un impact sur la culture d’entreprise des projets. Pour les plus jeunes, par exemple, c’est plus compliqué de se former. Comme dans tout changement, il y a du positif et du négatif ». « Il n’y a plus tellement de différences entre la semaine et le week-end, en particulier chez les plus jeunes travailleurs. Les barrières sont presque toutes tombées, complète Edouard Cambier. On le voit à la Seed Factory chaque week-end, 30 % de nos clients sont là. Certains entrepreneurs passent, par exemple, faire leur comptabilité ».

Des collègues d’autres entreprises

À côté de l’emplacement, du choix de formule d’abonnement ou du niveau de service, le dynamisme social fait partie des critères décisifs. Et Axel Kuborn d’expliquer : « Il y a des facteurs objectifs quand on choisit un coworking, comme le type d’espaces proposés (salles de réunion, lieux de rencontres etc.) mais aussi une émotion, une intuition à prendre en compte. Le feeling est important. On doit pouvoir s’imaginer y travailler. Au niveau social, il faut qu’il y ait un ‘fit’ avec la communauté. Dans notre réseau, nous organisons 600 évènements pour que les gens se rencontrent. Nous travaillons également sur un outil d’intelligence artificielle pour rassembler toutes les expertises au même endroit et faciliter les contacts ».

« Les membres d’un coworking sont comme des collègues élargis. Voir d’autres têtes est encore plus précieux quand on travaille en petits groupes, poursuit Edouard Cambier. Je vois aujourd’hui quatre grandes catégories d’acteurs sur le marché du coworking : les machines très rentables, souvent des chaînes à la Space ; des plus petits joueurs qui visent une rentabilité plus modeste, mais veulent un ‘break even’ ; des structures qui veulent avoir un impact sociétal et toucher la communauté, souvent déficitaires et plutôt avec un objectif d’occupation ; et les surfaces portées par des acteurs publics dans les centres-villes, qui n’ont pas besoin d’être rentables ».

Les hôtels s’y mettent aussi

Autre tendance à souligner, plusieurs hôtels haut de gamme récemment inaugurés ont intégré du coworking à leur offre. « Au Mix, un projet de resort urbain inauguré en mai 2023, c’était une volonté dès le départ. Le coworking est chez nous lié à la salle de sport. Il faut être abonné et ajouter une option pour venir travailler. C’est un service complémentaire, qui contribue à l’expérience immersive que nous voulons offrir dans un même lieu. Ici, c’est le sport qui offre la partie sociale et connecte les gens. L’idée est qu’on puisse échanger autour d’autre chose que leur travail », explique Fée Peltier, coordinateur des membres du Mix, l’hôtel installé dans l’ancienne Royale Belge à Boitsfort. « On ne propose pas d’espace fermé dans ce qu’on appelle la Librairie. Chacun s’installe où il veut, quand il veut. On compte une centaine d’emplacements ».

Hox_WFH_Brussels_Day2_Cafe-Section_061_v2a.jpg
Working From_

Chez Working From_, intégré au nouvel hôtel The Hoxton, une tour de bureaux anciennement occupée par IBM, dans le centre-ville, le concept est un peu différent. Le coworking lancé à l’été 2023 y est géré indépendamment de l’hôtel et par des équipes différentes. « Le Hoxton de Bruxelles est le 14ème d’un groupe hôtelier présent à Paris, Dublin ou encore Florence. Certains ont un coworking, mais ce n’est pas toujours le cas. Tout dépend du type de bâtiment », partage Charles Van Den Bogaert, General Manager de Working From_. Notre espace s’étend sur 4000 m2 sur 4 étages et comprend des espaces collaboratifs et des bureaux flex et semi-flex. On peut y accueillir 600 travailleurs. Le cœur du projet est un café réservé aux co-workers. L’accès se fait 24/7. On a même une formule qui permet un accès uniquement en soirée, prisé des indépendants complémentaires. Un de nos atouts, à côté de la beauté du cadre, est notre ultra flexibilité. Nous nous adaptons aux besoins changeants des membres et nous voulons que chacun se sente à la maison ». Dans les deux cas, la combinaison de bureaux, de restaurants de qualité et de chambres d’hôtel sur le même site et avec des pourcentages à la clé attire les équipes internationales disséminées dans plusieurs pays.

Des clusters métiers

Pour Edouard Cambier, une piste d’évolution des coworkings pourrait être un regroupement par métier à l’image des guildes du Moyen-Âge. « C’est déjà une tendance naturelle de se rejoindre par secteur. Un coworking démarre souvent d’un carnet d’adresses. Le mien a débuté de mon compte LinkedIn. On va aller vers plus de thématiques et de proximité, je pense. Et puis, le coworking va sans doute aussi se rapprocher de l’hôtellerie avec des étoiles et des niveaux de services ». Et Charles Van Den Bogaert d’affirmer : « Quand on pousse ses équipes à venir ou revenir au bureau, il faut leur proposer une expérience, sinon les collaborateurs préfèrent souvent rester travailler de chez eux. Avoir accès à un bel espace de travail, à des activités et à une communauté fait partie des raisons de se rendre au travail. Pour moi, l’évolution du coworking c’est cela : un aspect communautaire renforcé, des possibilités d’horeca de qualité et des bâtiments plus verts pour contribuer aux bilans carbone positifs des entreprises ».